dimanche 27 octobre 2013

" Crucifier son futur sur une porte de métal et le regarder s'éteindre jour après jour en oubliant sa colère" Vincent










                   J’ai ouvert « crucifier son futur » un matin, je n’étais pas de bonne humeur, une journée maussade en perspective. Je laisse la préface pour la fin, comme toujours, pour la découverte innocente. Premier poème : « Jetez vos poèmes d’amour et glissez vos petites culottes dans l’enveloppe. » J’ai eu comme une furieuse envie de balancer le bouquin contre le mur. Du genre  pour qui il se prend lui ?  Mais je savais pour qui il se prenait, j’avais déjà lu quelques poèmes de lui, alors je ne l’ai pas fait et j’ai avancé rageuse, dans les vers du recueil de Vincent, sans pouvoir décrocher et j’ai arrêté de compter mes états. L’auteur ne cesse de nous balloter dans des paradoxes : rage de vie et tentation de la mort,  nostalgie de la passion et vide affectif, volonté et désespoir. Pour ce faire, Vincent a la langue crue, violente, sans détour et cynique d’un homme qui se dit vide de sentiments. Il nous parle mal, il met sa laideur et son immoralité en scène. Mais quand on ferme le bouquin, il reste et plane la beauté d’une gueule cassée par un cœur, indomptable, ravagé par les passions anciennes de l’amour, et les nouvelles : luxure, alcool et solitude. Il manie le vers court et long avec une belle dextérité et réussit ce coup de maître de nous faire croire que le poème est balancé au fil de la pensée, comme un premier jet.  Il joue avec la beauté de l’image toujours sur le fil de la laideur, un mélange subtil et intense que j’appelle sublime. Chaque page de « crucifier son futur » est une surprise renouvelée et jamais gratuite. Et le tout est d’une humanité déconcertante. J'ai finalement eu une belle journée.

dimanche 20 octobre 2013

C'est le matin qu'on grandit, Cédric Bernard


J’ai trouvé c’est le matin qu’on grandit un soir, dans ma boîte aux lettres.
L’objet intrigue d’abord : un accordéon qu’il faut plier, replier, déplier pour découvrir le texte. Il y a bien des numéros pour ordonner les pages, mais en réalité, avec Cédric on peut bien prendre le tout par l’envers ( oserais-je dire par derrière ?) et remonter les lignes jusqu’au petit matin pour observer la couleur de l’aube, par la fenêtre de sa chambre, du ciel, de la terre, de ses tripes ou de sa gueule du matin. Un ancrage dans le réel par les deux pieds à la fois brutal et onirique.
Voilà maintenant quelques jours que j’y tourne et retourne car il faut y revenir pour s’imprégner de l’odeur, du goût, de la caresse ou de l’écorchure, du bruit et de la couleur. Parce qu’une chose est sûre, c’est par les sens que cette écriture nous cueille. Le corps sur le qui-vive, sur le vif, dans sa trivialité et ses recoins cachés parfois. Et ça ne fait pas toujours du bien. Le corps est aussi le point de départ de l’écriture, largement questionnée dans ce texte : le silence du crâne, du ventre, de la main au réveil. Et soi.
Et puis ce temps qui défile, les saisons et on sent parfois poindre une forme de lyrisme dans la poésie de Cédric, mais renouvelé, personnel et absolument contemporain, jamais gratuit. L’homme ne quitte jamais la nature car il doit s’y inscrire pour être et faire corps, même douloureusement avec elle, au travers de l’écriture.
Merci Cédric pour ce joli recueil et si je devais ne citer qu’un extrait, ce serait celui-là peut-être :
« Le ciel pisse au même
Endroit qu’il se mire
C’est dire si lui en troublé
A y regarder après
Il n’y voit que son propre reflet.
En propre ?
Qu’importe…
»


samedi 12 octobre 2013

Guillaume Siaudeau, Tartes aux pommes et fin du monde, éditions ALMA, 2013









Je connaissais et appréciais déjà Guillaume pour ses textes poétiques. Alors lire son premier roman a été une évidence.  Tartes aux pommes et  fin du monde dit le quotidien d’un homme, encore empreint de l’enfance qui ne demande pas grand-chose à la vie, juste une parcelle de bonheur méritée, parce que né humain. Mais le roman déroule la vacuité d’une existence, une  solitude profonde et ça devient l’histoire d’un homme et de son flingue. Un flingue posé sur la tempe : seul moyen de rester en vie, d’exister, de résister à la mort omniprésente. Une écriture directe,  efficace et sincère qui dit le vide et cette impossibilité de changer le cours des choses. Merci Guillaume pour cet émouvant premier roman.

mercredi 9 octobre 2013

Boulot, ivresse et autres bizzareries, Mike Kasprzak, 2013 éditions La Matière Noire.




Mike Kasprzak, c’est la vie.
Une chose est sûre, on ne ressort pas indemne de Boulot, ivresse et autres bizarreries. Et c’est exactement ce que j’attends de la littérature, qu’elle ne me laisse pas indemne. Ce jeune auteur nous embarque avec lui dans ses errances quotidiennes, dans son combat avec la vie et les mots, un match en plusieurs rounds qui ne laisse pas beaucoup de répit au lecteur. Un voyage résolument addictif.
Mike, le narrateur est à l’image de cette littérature en mouvement perpétuel, il marche, erre, cherche la vie ou une réponse à la vie, qui n’arrive pas. Alors la violence s’impose, le duel permanent, ( Violent coup de main qui raconte un match de boxe entre Mike et Bukowski étant probablement le point central, l’acmè, la mise en abyme du recueil) duel, qui se décline de plusieurs manières : l’alcool, le sexe, les bras de fer, la provocation, la boxe et les mots bien entendu. Les mots comme arme contre la misère du vide, contre ce gouffre, ce trou noir qui absorbe l’humanité. Des mots qui se livrent eux aussi un duel : la trivialité côtoie le sublime, la saleté se frotte à la grâce, la grossièreté caresse le Beau, avec une ironie mêlée de cynisme ou de désespoir, c’est selon. C’est ce qui percute en plein ventre chez Mike Kaspzrak , une empreinte laissée sur le papier et dans les tripes du lecteur.
Oui, Mike boit, comme il baise, comme il fait des bras de fer, comme il boxe, pour la réalité des corps, pour affronter les limites de tous ces corps, à commencer par le sien, seule façon de se rappeler qu’il est vivant et continuer à exister. Pourtant, le lecteur attentif pourra remarquer que dans sa rage de prendre la vie à bras-le-corps, Mike prend tout par derrière : les files d’attente, les femmes, les rues, les patrons ; il y a comme une retenue, un paradoxe, une impossibilité d’aller de front, une réserve, une timidité qu’il évoque à demi-mots et qui le rend finalement particulièrement touchant et humain…La vie c’est dur alors on irait bien s’asseoir sur un banc avec lui pour observer l’humanité, on partagerait bien son rosé qui tâche sur le trottoir. Mike est un solitaire qui s’acoquine des déviants et marginaux qu’il croise : poivrots, filles faciles, handicapés bien plus vivants que la masse de travailleurs asservis et presque morts qui balancent eux-mêmes leur existence dans le caniveau.
Pour conclure, je dirais que ce recueil illustre une littérature de rue, de vie, authentique et empreinte d’une sincérité assez unique qu’on pourra relire encore et encore, comme une réflexion éternelle. Merci Mike Kasprzak."


Le premier recueil de poésie de Mike Kaspzrak paraîtra bientôt aux éditions de la Matière Noire et  son premier roman Ivresse et Insoumissions est en préparation.
   photo: Muriel Cavanhac-Viguie.