J’ai
ouvert « crucifier son futur » un matin, je n’étais pas de bonne
humeur, une journée maussade en perspective. Je laisse la préface pour la fin,
comme toujours, pour la découverte innocente. Premier poème : « Jetez
vos poèmes d’amour et glissez vos petites culottes dans l’enveloppe. » J’ai
eu comme une furieuse envie de balancer le bouquin contre le mur. Du genre pour
qui il se prend lui ? Mais je savais pour qui il se prenait, j’avais
déjà lu quelques poèmes de lui, alors je ne l’ai pas fait et j’ai avancé
rageuse, dans les vers du recueil de Vincent, sans pouvoir décrocher et j’ai
arrêté de compter mes états. L’auteur ne cesse de nous balloter dans des
paradoxes : rage de vie et tentation de la mort, nostalgie de la passion et vide affectif, volonté
et désespoir. Pour ce faire, Vincent a la langue crue, violente, sans détour et
cynique d’un homme qui se dit vide de sentiments. Il nous parle mal, il met sa
laideur et son immoralité en scène. Mais quand on ferme le bouquin, il reste et
plane la beauté d’une gueule cassée par un cœur, indomptable, ravagé par les
passions anciennes de l’amour, et les nouvelles : luxure, alcool et
solitude. Il manie le vers court et long avec une belle dextérité et réussit ce
coup de maître de nous faire croire que le poème est balancé au fil de la
pensée, comme un premier jet. Il joue avec
la beauté de l’image toujours sur le fil de la laideur, un mélange subtil et
intense que j’appelle sublime. Chaque page de « crucifier son futur »
est une surprise renouvelée et jamais gratuite. Et le tout est d’une humanité
déconcertante. J'ai finalement eu une belle journée.